Article Double Marge 31 mai 2021
« Tu veux aller en Chine ? Monsieur Lin, dont je connaissais tout
juste le nom à ce moment-là, me regardait, la casquette posée sur le
côté, presque à l’apache, sa main appuyée sur une canne à tête de
dragon. Il souriait et ses yeux se bridaient davantage derrière ses
lunettes […] Tu veux aller en Chine ? Je ne disais rien. Je continuais à
sourire, moi aussi, en regardant sa canne. J’étais décontenancée […]
D’accord, j’y vais ».
Monsieur Lin est un homme espiègle. Il enseigne les arts martiaux
mais il peut tout aussi bien pratiquer l’imposition des mains ou
réhabiliter les maisons hantées. Il vit à Arrucas, dans les Canaries où
il se sent bien. Celle qui est devenue son élève et qui s’apprête à
découvrir la Chine est une fille aux cheveux roux dont les yeux
légèrement étirés pourraient laisser croire à une parenté éloignée.
Leur pérégrination vers Les Montagnes dans les Nuages commence dans
la touffeur de Pékin. La voyageuse à la chevelure de feu et Monsieur Lin
n’y passent pas inaperçus. Occupés à jouir du spectacle de la rue, ils
en oublient les regards amusés. Le dédale des hutong où résonne
la voix des petits métiers, les tenues bigarrées, les cheveux de toutes
les couleurs, les teints délicats, les musiciens dans les parcs, tout
est enchantement. Enchantement aussi lorsque le voile gris de la ville
minière de Datong disparaît devant la beauté des bouddhas géants.
Au fil des jours, le voyage vers les Montagnes dévoile sa géographie
et son humanité. Il apparaît aussi comme un puissant révélateur du
travail énergétique. Apprendre à « Laisser toute distance et toute peur
au vestiaire ». Monsieur Lin encourage et rassure. La journée commence
invariablement par une séance de qigong. Parfois, la simplicité, la
gaité, les « rires juvéniles », partagés entre deux cigarettes, font
oublier « l’obsessionnelle hygiène de vie professée en Occident […] je
suis heureuse d’être ici. Je suis à l’aise, calme, et j’ai parfois la
sensation, fugace, d’être rentrée chez moi ».
Au cœur des Montagnes dans les Nuages, la magie opère. « Voir le jour
se lever devant ces moines aux mouvements de brume est l’une des plus
belles choses qui me soient jamais arrivées ». A peine installée, notre
voyageuse met cap au sud, en solitaire. De nouveaux visages l’attendent.
S’attarder un peu. Oui, mais les signes qui ne mentent pas lui intiment
de rebrousser chemin. La Montagne s’impatiente. La rencontre avec Lu
Long, le Dragon vert, se rapproche. Lu Long, le semblable, l’ « ami de
l’ici et maintenant » …
Le récit littéraire d’Adèle O’Longh nous aide à repenser notre vision
du monde. Libérée des codes occidentaux, la narratrice s’abandonne au
spectacle de la nature et des êtres qu’elle rencontre, qui la ramènent
doucement à elle-même, à la Montagne bleue.
… Mais qui a dit qu’il fallait traverser les mers pour résider en ce lieu ?
Elisabeth Dong
Les Montagnes dans les nuages, Récit de voyage, Double Marge, 2021