jeudi 3 juillet 2008

Les Montagnes dans les Nuages - Extrait 1

[…]
-Tu veux aller en Chine ?
Monsieur Lin, dont je connaissais tout juste le nom à ce moment-là, me regardait, la casquette posée sur le côté, presque à l’apache, sa main appuyée sur une canne à tête de dragon. Il souriait et ses yeux se bridaient davantage derrière ses lunettes. C’était son étrange réponse à la question que je venais de lui poser.
Il m’a demandé à nouveau :
-Tu veux aller en Chine ?
Je ne disais rien. Je continuais à sourire, moi aussi, en regardant sa canne. J’étais décontenancée.
J’avais abordé ce vieux monsieur chinois que je ne connaissais pas pour le compte de deux amies qui n’osaient pas le faire elles-mêmes. Deux pratiquantes assidues de taiji qui désiraient faire un stage en Chine pendant leurs vacances d’été. Une espèce de pèlerinage, en quelque sorte, sur la terre mère. C’était la Journée internationale du taiji. Leur groupe faisait une démonstration sur l ‘esplanade, devant l’auditorium de las Canteras, à Las Palmas de Gran Canaria. Il faisait très chaud et je me fichais pas mal des arts martiaux chinois, à ce moment-là. Pour moi, le taiji se limitait à la gymnastique matinale pratiquée tous les matins par des millions de Chinois sous Mao et par quelques hippies en Occident. Je commençais à peine à comprendre, en regardant mes amies, qu’il s’agissait d’un art martial. Ce jour-là, j’étais venue uniquement pour les soutenir.
Ça faisait un moment déjà que j’avais repéré ce vieux Chinois, appuyé sur sa canne comme un patriarche gitan, qui suivait en souriant les exhibitions des différentes écoles de taiji de l’île.
Pourquoi ne pas demander à cet homme s’il a des adresses en Chine ? J’avais dit à mes amies en le désignant, une fois leur démonstration terminée. Il a l’air de bien connaître le sujet.
Elles s’étaient aussitôt récriées. Elles ne pouvaient pas l’aborder d’une manière aussi cavalière, hors de question ! J’ignorais à qui j’avais affaire, rien moins qu’à Monsieur Lin, maître de qigong d’Arucas –petite ville au-dessus de Las Palmas-, médecin traditionnel chinois, acupuncteur, et qui plus est, maître de leur professeur de taiji. Elles ne voulaient pas lui demander quoi que ce soit.
Alors, j’y étais allée, moi.
Je ne savais rien de ces histoires de maîtres et de médecine chinoise, je n’étais pas impressionnée par ce vieux bonhomme mais, par contre, il m’intriguait. J’avais envie de lui parler.
En réalité, il me plaisait. Il m’avait plu tout de suite. Je n’avais pas arrêté de le lorgner durant toute la matinée. Il faut dire qu’il avait une allure particulière. Et puis son air de se moquer gentiment du monde, sa façon de s’appuyer sur sa canne et de porter la casquette de travers me rappelaient mon grand-père. Son sourire en coin et ses yeux malicieux planqués sous ses lunettes m’avaient tout de suite attirée.
Je l’avais abordé, lui désignant mes deux amies restées de l’autre côté de l’esplanade, en lui demandant s’il ne pouvait pas leur conseiller une école.
C’est à cette question, donc, et sans même jeter un œil sur elles, qu’il avait répondu par cette autre question :
-Tu veux aller en Chine ?
En me regardant en souriant.
Comme je restais sans répondre, les yeux fixés sur la tête de dragon de sa canne, il avait ajouté :
-Moi, je t’emmène en Chine, si tu veux y aller.
Alors j’ai levé les yeux et j’ai répondu oui. Sans une ombre d’hésitation.
J’ai hoché la tête et dit à Monsieur Lin :
-D’accord. J’y vais.
Voilà comment mon voyage en Chine s’est décidé.
[…]

Aucun commentaire:

Les Montagnes dans les nuages, récit de voyage, Double Marge, article entier, 2022

Article Double Marge 31 août 2022. Il est des livres, plus hospitaliers que d’autres, qui vous accueillent avec une enveloppante générosit...